
POUR RÉDIGER CET ARTICLE, NOUS AVONS BÉNÉFICIÉ DU SOUTIEN ET DU PARTAGE DE CONNAISSANCES DE LA CHERCHEUSE MAHÉE GILBERT-OUIMET, DE L'UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À RIMOUSKI (UQAR).
Souvent sous-estimée, la violence au travail représente un enjeu préoccupant aux répercussions multiples, tant sur la santé physique et psychologique des individus que sur le climat organisationnel. Pour les employeurs comme pour les employé-e-s, il est important de reconnaître ses différentes manifestations, d’en comprendre les causes et d’adopter des stratégies pour la prévenir. Dans cette optique, cet article expose les formes de violence au travail, leurs impacts sur la personne et l’organisation, ainsi que des actions concrètes pouvant être mises en place pour la prévenir et la contrôler.
La CNESST définit la violence au travail comme « pouvant être physique ou psychologique, et comprenant la violence conjugale, familiale ou à caractère sexuel. Dans tous les secteurs d’activité, la violence peut survenir sur le lieu de travail, dans les circonstances ou à l’occasion du travail ».
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est à noter que la violence peut être interne ou externe :
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Violence interne : elle se manifeste entre les membres du personnel provenant de tous les niveaux hiérarchiques d’une même organisation (ex. collègues ou supérieur-e-s hiérarchiques)
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Violence externe : elle peut s’exprimer entre toute autre personne présente dans le milieu de travail sans lien d’emploi avec celui-ci, comme un-e client-e, un-e patient-e, un-e élève ou un-e fournisseur-euse (en particulier dans les secteurs de service).
Statistiques
Selon le rapport intitulé « Statistiques sur la violence, le stress et le harcèlement en milieu de travail » publié par la CNESST, 3 362 lésions ont été reconnues pour des cas de violence en milieu de travail en 2022, marquant une augmentation de 10,4 % par rapport à 2019. Parmi ces cas, 74,5 % concernaient de la violence physique représentant et 25,5 % de la violence psychique. Les femmes sont les plus touchées puisqu’elles représentent 73,8 % des lésions physiques et 65,7 % des lésions psychiques reconnues cette année-là.
Bien que les données spécifiques ne soient pas isolées dans ce document, il est précisé que la violence psychique peut inclure des cas où la violence conjugale ou familiale affecte directement les employé-e-s au travail, par des événements traumatiques ou des tensions prolongées.
Toujours selon ce même rapport, « les cas d'agression sexuelle représentent 5,8 % des lésions psychiques attribuables à la violence tandis que les cas de harcèlement sexuel, moins fréquents mais toujours significatifs, représentant 1,6 % des cas de lésions psychiques ».
Enfin, les secteurs les plus touchés sont les soins de santé et l’assistance sociale, où l’on retrouve 54,4 % des cas de violence physique et 29,7 % des cas de violence psychique, ainsi que les services d’enseignement avec une augmentation notable, soit 22,5 % des cas de violence physique en 2022.
De quoi parle-t-on ?
D’après le Répertoire des pratiques organisationnelles pour réduire les risques psychosociaux du travail de l’UQAR, l’Université de Montréal et l’Université Laval, la violence au travail, incluant la violence conjugale ou familiale sur les lieux de travail, réfère à « toutes manifestations de violence psychologique ou physique, telles que des propos agressifs, des menaces de violence physique ou des attaques dirigées contre soi-même ou autrui, perpétrées au travail ou à proximité par des collègues, des supérieur-e-s, des client-e-s, ou par des conjoint-e-s, ex-conjoint-e-s ou d'autres membres de la famille ».
De plus, comme le mentionne brièvement la définition, cette violence peut prendre différentes formes :
- La violence physique, qui comprend les agressions physiques, les coups, les attaques et tout acte entraînant des blessures corporelles.
Exemple imaginaire :
Marc, un employé dans un entrepôt de distribution, travaille sous une pression constante à cause des délais serrés et des tâches mal réparties entre les équipes. Après une dispute tendue avec son collègue Thomas au sujet de la distribution des charges de travail, Marc perd son calme et, dans un élan de colère, assène un coup au bras de Thomas. L'incident, bien que de courte durée, crée un choc parmi les autres employé-e-s et plonge l'équipe dans un climat de méfiance et de tension.
- La violence verbale, qui inclut les menaces, les insultes, les intimidations verbales, le langage offensant et tout discours agressif
Exemple imaginaire :
Dans une clinique de soins de longue durée, Sophie, aide-soignante, s'occupe d'un patient âgé qui souffre de démence. Un matin, lors d'une routine de soins, son patient devient agité et refuse de se laisser soigner. Sophie tente de le rassurer avec douceur et patience, mais, sous l'effet de la confusion, celui-ci se met à lui crier des insultes et l'accuse de vouloir lui faire du mal. Bien que Sophie essaie de maintenir son calme, le patient poursuit ses attaques verbales, ce qui perturbe l’atmosphère de travail et met Sophie mal à l’aise.
- Le harcèlement*, qui peut être une forme de violence au travail, qu'il soit psychologique, sexuel ou discriminatoire
Exemple imaginaire :
Léa, gestionnaire dans une entreprise de marketing, fait face à un harcèlement subtil mais constant de la part de son collègue Adrien, un cadre supérieur. Au début, Adrien lui adresse des commentaires sur sa manière de s'habiller et fait des blagues sur sa façon de travailler, qui semblent anodins. Cependant, ces remarques deviennent de plus en plus personnelles et déplacées, en particulier lorsqu’il critique fréquemment son apparence et sa façon de diriger ses projets. Léa se sent de plus en plus isolée et perd confiance en ses compétences. L'atmosphère de travail devient de plus en plus tendue et Léa commence à souffrir de stress et d'anxiété.
*Pour en savoir plus sur le harcèlement en milieu de travail, nous vous invitons à consulter notre article à cet effet via ce lien « Risques psychosociaux : le harcèlement au travail ».
Certains facteurs sont également reconnus pour augmenter le risque de violence en milieu de travail. Comme l’indique la CNESST, c’est le cas par exemple :
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Du travail avec le public ;
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De la manipulation d’argent comptant, d’objets de valeur ou de médicaments ;
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La prestation de services, de formation, de soins de santé ;
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Le travail avec des personnes présentant des instabilités ou des difficultés d’ordre psychologique ;
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Le travail dans des endroits où l’on sert de l’alcool ;
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Le travail communautaire et les services de soins à domicile ;
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Les lieux de travail mobiles (taxi, transport en commun).
Pourquoi s’en soucier ?
L’article 5 de la loi modernisant le régime SST oblige « l’employeur à prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection d’un travailleur exposé sur les lieux de travail à une situation de violence physique ou psychologique, incluant la violence conjugale, familiale ou à caractère sexuel ».
De plus, la Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail, quant à elle, mentionne dans l’Art. 28.0.1 qu’ « Une blessure ou une maladie d’un travailleur est présumée être survenue par le fait ou à l’occasion de son travail lorsqu’elle résulte de la violence à caractère sexuel subie par ce dernier et commise par son employeur, l’un des dirigeants de ce dernier dans le cas d’une personne morale ou l’un des travailleurs dont les services sont utilisés par cet employeur aux fins d’un même établissement, sauf si cette violence survient dans un contexte strictement privé ».
Au-delà des obligations légales, la violence en milieu de travail mérite une attention particulière, en raison des multiples conséquences qu’elle peut engendrer au sein de l’organisation.
Au niveau organisationnel :
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Un climat de travail tendu ;
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Une baisse de productivité ;
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Une augmentation de l’absentéisme et du présentéisme.
Au niveau individuel :
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Blessures (en cas de violence physique) ;
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Maladies professionnelles ;
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Décès et suicide (en cas de violence physique) ;
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Stress aigu ;
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Troubles musculosquelettiques :
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Traumatisme d’ordre psychologique, détresse psychologique, anxiété, dépression et autres problèmes de santé mentale.
Prévenir la violence en milieu de travail représente donc un investissement envers la santé globale et le bien-être à long terme de tous-tes les employé-e-s au sein des organisations québécoises.
Quelles sont les causes principales ?
La violence en milieu de travail résulte souvent d’une combinaison de facteurs organisationnels, relationnels et personnels, qui interagissent.
Sur le plan organisationnel :
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Une charge de travail est excessive, les délais sont irréalistes et le manque de ressources favorisent les tensions et les conflits ;
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Des déséquilibres de pouvoir, notamment en lien avec des hiérarchies rigides ou des abus d’autorité, peuvent exacerber les comportements agressifs;
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L’absence de politiques claires sur la gestion des conflits au travail peut laisser place à des situations de violence.
Sur le plan relationnel :
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Des conflits interpersonnels non résolus, parfois liés à des différences de valeurs, de personnalités ou d’objectifs ;
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Une communication inefficace, qui peut mener à des malentendus et à des frustrations accumulées ;
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Une plan organisationnel tolérant les comportements inappropriés, où les actes agressifs ou les micro-agressions ne sont pas sanctionnés, encourage indirectement ces dynamiques ;
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Le manque de soutien ou de collaboration entre collègues peut intensifier les tensions relationnelles.
Sur le plan individuel :
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Des difficultés à gérer ses émotions, générant par exemple de l’impulsivité, souvent aggravées par un environnement stressant ;
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Le stress chronique, qui peut réduire la tolérance au stress des individus et amplifier les réactions agressives ;
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Des préjugés discriminatoires ou des stéréotypes envers certain-e-s collègues, entraînant des comportements hostiles ou exclusifs ;
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Un changement des compétences sociales, comme l'empathie ou la résolution de conflits, rendant les interactions plus susceptibles de dégénérer en violence.
Ces différents facteurs, lorsqu'ils se conjuguent, créent un terreau propice à l'émergence de la violence au travail. Les organisations doivent agir à plusieurs niveaux pour réduire ces risques et préserver un climat de travail sécuritaire et harmonieux.
Comment y faire face ?
Pour faire face à la violence en milieu de travail, il est essentiel de mettre en place des mesures de prévention adaptées à la réalité de l'organisation et de s'assurer de leur application continue.
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Adopter une politique de tolérance zéro envers la violence, en en précisant les contours, en fixant des sanctions claires et en affichant l’engagement de l’organisation pour soutenir le personnel. Cette politique doit être régulièrement mise à jour et bien communiquée à tous-tes pour assurer son efficacité ;
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Réagir rapidement et adéquatement en cas de violence au travail, en suivant des procédures claires, en réalisant une enquête, en faisant le point avec l’équipe concernée après un incident, en dirigeant les victimes vers des ressources adaptées et en offrant des mesures de soutien aux employé-e-s lors de leur retour au travail ;
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Identifier et réduire les risques présents à la source, en sécurisant les lieux, en garantissant un signalement sécurisé et confidentiel en cas d’incident, en impliquant le personnel dans des stratégies d'amélioration et en optimisant les conditions de travail comme les horaires et la charge ;
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Former et sensibiliser les employé-e-s en incluant des formations régulières sur les formes de violence, les facteurs de risque, les mesures d’intervention et la résolution de conflits, ainsi qu’en sensibilisant tout le personnel et tous-tes les gestionnaires aux impacts de la violence.
Pour maintenir l’efficacité des mesures, des mises à jour des politiques et des formations continues sont nécessaires. Ces initiatives combinées permettent de créer un environnement de travail plus sécuritaire et respectueux, réduisant le risque de violence et renforçant le mieux-être et la santé des travailleurs-euses.
En résumé, la violence au travail est un problème sérieux qui nécessite une attention immédiate. Les entreprises doivent mettre en œuvre des mesures de prévention, des politiques claires et des mécanismes d'intervention pour garantir un environnement de travail sûr et respectueux. Au-delà des obligations légales, la création d’un milieu de travail sécuritaire est aussi une condition essentielle au bien-être et à la réussite collective.
Pour en savoir plus, voici d'autres ressources que vous pouvez consulter en complément d'informations:
- Risques psychosociaux : quels sont les risques ciblés par la Loi modernisant le régime SST ?
- Risques psychosociaux : la violence conjugale ou familiale au travail
- Risques psychosociaux : la violence à caractère sexuel au travail
- Risques psychosociaux : quels sont les risques « émergents » ?
Sources :
- CNESST : Violence en milieu de travail
- Statistiques sur la violence, le stress et le harcèlement en milieu de travail 2019-2022
- Pelletier, M., Lippel, K., Vézina, M. (2018). La violence en milieu de travail. Dans J. Laforest, P. Maurice et L. M. Bouchard (dir.), Rapport québécois sur la violence et la santé. Québec : Institut national de santé publique du Québec.
- Gilbert-Ouimet, M. (co-première auteure), Hervieux, V. (copremière auteure), Truchon, M., Bernard, G., Thibeault, J., et Lachapelle, É. (2024). Répertoire des pratiques organisationnelles pour réduire les risques psychosociaux du travail. Université du Québec à Rimouski, Université Laval