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Risques psychosociaux : l’exposition à un événement potentiellement traumatique

Risques psychosociaux : l’exposition à un événement potentiellement traumatique

POUR RÉDIGER CET ARTICLE, NOUS AVONS BÉNÉFICIÉ DU SOUTIEN ET DU PARTAGE DE CONNAISSANCES DE LA CHERCHEUSE MAHÉE GILBERT-OUIMET, DE L'UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À RIMOUSKI (UQAR). 

Les milieux de travail ne sont pas exempts de situations pouvant marquer profondément les individus. Accidents graves, conflits prolongés, harcèlement, ou encore restructurations brutales sont autant d'exemples d’événements qui peuvent engendrer des séquelles psychologiques importantes. Ces situations, qualifiées d'événements potentiellement traumatiques, ne concernent pas uniquement les témoins ou les victimes directes, mais peuvent également affecter l'ensemble d’une équipe, voire l'organisation dans sa globalité. Cet article explore les origines et les répercussions des événements potentiellement traumatiques en milieu professionnel, tout en proposant des pistes pour favoriser des milieux de travail résilients et sécuritaires. 

Selon la CNESST, un événement potentiellement traumatique (ÉPT) est « un événement présentant une menace à la vie ou à l’intégrité physique ou psychologique de la personne, comme une menace de mort, une blessure grave, de la violence sexuelle ou encore, dans certains cas, un décès. Dans le contexte de son travail, une personne peut être exposée à un événement potentiellement traumatique de différentes façons, par exemple :

  • Être victime de l’événement ;

  • Être témoin de l’événement ;

  • Apprendre qu’un-e proche a été exposé à un ÉPT ;

  • Être exposé-e de manière répétée à des détails d’un ÉPT ».

Statistiques

Les données récentes indiquent que l'exposition à des événements potentiellement traumatiques est fréquente au sein de la population canadienne. Selon une enquête de 2023 publiée par Statistique Canada, environ 63 % des adultes au Canada ont déclaré avoir vécu au moins un type d’ÉPT au cours de leur vie. Les types d’ÉPT les plus fréquents étaient les accidents de la route (31%), les agressions physiques (18%) et les maladies ou blessures potentiellement mortelles (17%).

Toujours selon cette enquête, environ 8 % des adultes canadiens présenteraient des symptômes compatibles avec un trouble de stress post-traumatique (TSPT) probable, en fonction des manifestations vécues au cours du dernier mois. Ces symptômes peuvent entraîner des répercussions importantes sur le quotidien, notamment en affectant le fonctionnement au travail et la capacité à accomplir certaines tâches.

De quoi parle-t-on ?

En milieu de travail, ces événements peuvent prendre plusieurs formes, par exemple :

  • Des accidents graves, entraînant des blessures sérieuses ou le décès sur le lieu de travail ;

  • Des situations de violence, comme des agressions physiques ou verbales entre collègues ou avec des personnes extérieures présentes sur le lieu de travail. Cela inclut aussi la violence conjugale ou familiale et la violence à caractère sexuel ;

  • Des cas de harcèlement, c’est-à-dire tous comportements répétés visant à intimider, humilier ou isoler un-e employé-e ;

  • Des catastrophes telles que des incendies, des explosions ou d’autres situations d'urgence similaires.

Ces événements peuvent entraîner des réactions de stress intense à court terme. Lorsqu’ils ne sont pas reconnus ou accompagnés adéquatement, ils peuvent évoluer vers des troubles psychologiques et physiques durables, affectant autant la santé individuelle que le fonctionnement au travail. 

Pourquoi s’en soucier ?

La modernisation de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LMRSST) rend désormais obligatoire la prise en compte des risques psychosociaux du travail, incluant l’exposition à des ÉPT.

Ces événements peuvent entraîner des répercussions importantes, tant pour les individus que pour les organisations. En voici une liste non-exhaustive d’exemples :

Au niveau organisationnel : 

  • Productivité réduite : baisse de performance, augmentation de l'absentéisme et présentéisme;

  • Climat de travail détérioré : conflits internes, tensions relationnelles ou diminution de la cohésion d’équipe ;

  • Coûts financiers accrus : augmentation des congés maladie, du roulement du personnel, des indemnisations et litiges, ainsi que diminution de l’attractivité ;

  • Atteinte à la réputation : image externe de l’organisation fragilisée. 

Au niveau individuel : 

  • Santé mentale affectée : développement de troubles psychologiques tels que l'anxiété, la dépression, le trouble de stress post-traumatique, l’épuisement professionnel, l’isolement social ou encore le sentiment d’insécurité ;

  • Atteintes à la santé physique : troubles du sommeil, fatigue chronique, affections psychosomatiques ou encore un affaiblissement du système immunitaire ;

  • Parcours professionnel fragilisé : démotivation, désengagement, risque d’abandon de la profession ;

  • Conséquences personnelles : telles que des impacts sur la vie familiale, un endettement ou de la précarité. 

Il est donc crucial de reconnaître, prévenir et contrôler ces risques pour favoriser le bien-être global des employé-e-s et le bon fonctionnement de l’organisation.

Quelles sont les causes principales ?

Les événements potentiellement traumatiques en milieu de travail peuvent résulter de facteurs environnementaux, organisationnels ou humains, souvent interconnectés. En identifier les causes permet de mettre en place des stratégies de prévention adaptées.

Environnement de travail à risque

  • Secteurs à haut risque : les milieux comme la construction, les services d’urgence, la santé ou l’industrie lourde exposent les travailleurs-euses à des dangers physiques (accidents graves, blessures) ou à des situations émotionnellement éprouvantes (prise en charge de victimes, catastrophes naturelles) ;

  • Conditions de travail inadéquates : l’exposition prolongée à des environnements bruyants, mal éclairés, ou insuffisamment sécurisés peut augmenter les risques d’accidents et de traumatismes.

Climat organisationnel problématique

  • Culture de tolérance au harcèlement ou à la violence : une organisation qui banalise ou ignore les comportements abusifs crée un terreau fertile pour les événements traumatiques ;

  • Manque de soutien managérial : l’absence de reconnaissance, de communication ouverte ou de gestion empathique des problèmes amplifie le sentiment d’insécurité et de vulnérabilité chez les employé-e-s ;

  • Politiques insuffisantes ou mal appliquées : une absence de protocoles clairs pour gérer les conflits, le harcèlement ou les crises peut exacerber les situations stressantes.

Manque de formation

  • Absence de préparation aux situations d’urgence : le personnel formé pour gérer des incidents critiques, comme des incendies, des accidents graves ou des agressions, est plus susceptible d’être traumatisé en cas d’événement ;

  • Déficit en gestion des conflits : sans outils pour résoudre les tensions interpersonnelles, les employé-e-s peuvent se retrouver confronté-e-s à des situations qui dégénèrent en harcèlement ou violence ;

  • Manque de sensibilisation aux risques psychosociaux au travail : une mauvaise compréhension des enjeux liés à la santé mentale ou au bien-être peut entraîner une sous-estimation des conséquences des événements potentiellement traumatiques.

Pression professionnelle accrue

  • Charges de travail excessives : les longues heures de travail, les échéances irréalistes et l’attente de performances élevées créent un stress constant, augmentant la vulnérabilité face aux situations traumatiques ;

  • Climat de compétition intense : une culture basée sur la performance à tout prix peut favoriser des comportements toxiques ou des conflits, source d’anxiété et de tension ;

  • Rôles mal définis : une confusion autour des responsabilités ou un manque de ressources pour accomplir les tâches assignées peut générer un sentiment d’impuissance, propice à des impacts psychologiques négatifs.

Facteurs humains et interpersonnels

  • Vulnérabilité individuelle : des antécédents personnels de traumatisme, des troubles de santé mentale ou une résilience limitée peuvent exacerber les impacts d’un événement potentiellement traumatique ;

  • Relations conflictuelles : des interactions tendues ou des conflits non résolus avec des collègues, des supérieur-e-s ou des client-e-s peuvent être à l’origine de situations traumatisantes ;

  • Tensions liées à la diversité : une absence d’inclusion ou des discriminations basées sur l’âge, le genre, la culture ou l’orientation sexuelle peuvent créer des expériences traumatisantes pour certain-e-s employé-e-s.

Facteurs externes

  • Crises sociales, économiques ou sanitaires : des événements externes, comme des récessions économiques ou des épidémies, peuvent engendrer une insécurité financière ou sanitaire, amplifiant le stress des employé-e-s ;

  • Violence externe : les agressions physiques ou verbales de la part de client-e-s, d’usagers ou de membres du public peuvent également constituer des traumatismes majeurs.

Comment y faire face ?

Pour atténuer les risques liés aux événements potentiellement traumatiques, les organisations peuvent :

  • Identifier et gérer les risques, c’est-à-dire évaluer les risques liés aux opérations, analyser les données (absences, accidents), concevoir des mesures de contrôle, surveiller les nouveaux risques, et ajuster les stratégies ;

  • Élaborer un plan d’action, en définissant les mesures adaptées, en informant le personnel, et en testant régulièrement le plan pour garantir son efficacité ;

  • Réagir après un incident, et mener des enquêtes, organiser des mises au point, offrir un soutien professionnel et maintenir le contact avec les employé-e-s en arrêt ;

  • Prévoir des moments de répit, en introduisant par exemple des pauses-santé et du repos après des périodes difficiles. Désigner une personne responsable des pauses peut s’avérer d’autant plus efficace ;

  • Former et sensibiliser à la reconnaissance des traumatismes, informer sur les risques des postes exigeants, et encourager des discussions ouvertes ;

  • Favoriser une culture d'entreprise bienveillante en faisant régulièrement la promotion du respect, de l'entraide et de la communication ouverte.

En conclusion, les événements potentiellement traumatiques en milieu de travail représentent un défi majeur tant pour la santé globale des employé-e-s que pour la performance des organisations. Leur reconnaissance proactive, combinée à des stratégies de prévention et d'intervention adaptées, est essentielle pour promouvoir des environnements de travail sains, résilients et sécuritaires.
 

 

Pour en savoir plus, voici d'autres ressources que vous pouvez consulter en complément d'informations:

- Risques psychosociaux : quels sont les risques ciblés par la Loi modernisant le régime SST ?

- Risques psychosociaux : le harcèlement au travail

Risques psychosociaux : la violence au travail

- Risques psychosociaux : la violence conjugale ou familiale au travail

- Risques psychosociaux : la violence à caractère sexuel au travail

- Risques psychosociaux : quels sont les risques « émergents » ?

 

 


Sources :

- CNESST : Exposition à un événement potentiellement traumatique

- Statistique Canada : Enquête sur la santé mentale et les événements stressants, 2023

- Agence de la santé publique du Canada : Le trouble de stress post-traumatique chez les adultes au Canada

- Gilbert-Ouimet, M. (co-première auteure), Hervieux, V. (copremière auteure), Truchon, M., Bernard, G., Thibeault, J., et Lachapelle, É. (2024). Répertoire des pratiques organisationnelles pour réduire les risques psychosociaux du travail. Université du Québec à Rimouski, Université Laval
 

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